Autisme, un sur-fonctionnement perceptif

Par Alexis Beauchamps, Étudiant à la maîtrise et résident en psychiatrie

Pour faire suite à l’article « Autisme, un cerveau axé sur la perception », je vous propose cet autre article du magazine Sur le spectre, dans la continuité de l’aspect Perceptif des autistes.

 

Le modèle du surfonctionnement perceptif en Autisme

 

LA PERCEPTION, QU’EST-CE QUE C’EST ?

 

Notre cerveau nous permet de grandes et complexes réalisations. Avant de pouvoir réfléchir sur l’information qui lui est présentée, il doit d’abord décoder les signaux qui lui sont envoyés par les divers organes des sens. La perception c’est ce décodage qui comprend plusieurs tâches dont la sélection, l’organisation et l’interprétation des signaux des sens. Si l’on prend le système visuel comme exemple, pour qu’une personne voit un objet donné, de la lumière doit rebondir de la surface de celui-ci, s’engouffrer dans l’œil par la pupille, frapper la rétine, y activer des cellules sensorielles spéciales (les cônes et bâtonnets) qui activent à leur tour une cascade complexe de cellules qui relaient le signal à sa destination ultime: le cortex visuel du cerveau.

 

LA PERCEPTION EN AUTISME

De nombreuses études se sont penchées sur les processus perceptuels en autisme et ont démontré que la perception est différente et souvent supérieure chez les autistes comparativement aux non-autistes. Certains chercheurs ont proposé que les différences de fonctionnement perceptuel entre les autistes et les non-autistes puissent expliquer à la fois la différence autistique, mais également ce qui unit les diverses manifestations cliniques, qui peuvent être très différentes d’un individu autiste à l’autre. Mottron, Dawson, Soulières, Hubert et Burack ont ainsi créé un modèle nommé «Enhanced Perceptual Functioning» (EPF), ou modèle du fonctionnement perceptuel augmenté, en français. Ce modèle propose huit principes listés sur la page suivante. L’ensemble de ces huit principes peuvent se résumer à trois caractéristiques de la perception chez les autistes :

  1. – un surfonctionnement perceptuel de bas niveau,
  2. – une plus grande indépendance de la perception par rapport aux processus top-down (émotions, attention, attentes, etc.)
  3. – un rôle plus important de la perception dans les processus cognitifs en général (intelligence et décodage des tâches sociales, par l’exemple).
 

LES 8 PRINCIPES DU MODÈLE EPF

 

#1 La perception des autistes est, par défaut, davantage orientée vers les éléments locaux (les détails) que celle des non-autistes. Par exemple, les autistes sont meilleurs pour copier une image impossible puisqu’ils peuvent mieux se concentrer sur les aspects locaux de la forme sans être distraits par l’image globale.

 

#2 Plus une tâche perceptuelle est complexe, moins on observe une supériorité des autistes. Ainsi, la perception du mouvement (qui est plus complexe à décoder pour le cerveau) n’est pas supérieure chez les autistes, contrairement aux stimuli statiques.

 

#3 Certains comportements atypiques permettraient aux autistes de filtrer l’information obtenue par les organes des sens. Par exemple, les regards latéraux diminuent la quantité de détails visualisés et améliorent la perception du mouvement.

 

#4 Les aires du cerveau sont activées différemment chez les autistes pendant des tâches sociales et non sociales par rapport aux non-autistes. Par exemple, les autistes activent davantage les aires visuelles et perceptives et moins le cortex frontal que les non-autistes même s’ils ont un niveau de performance similaire.

 

#5 L’influence des attentes, des connaissances antérieures, du raisonnement conscient (ce qui est appelé les processus «top-down») serait obligatoire chez les non-autistes, alors qu’elle ne le serait pas toujours chez les autistes. Par exemple, les illusions d’optique tromperont le processus d’intégration de la plupart des gens (processus «top-down»). Or, dans une expérience, les autistes étaient aussi sensibles aux illusions d’optique que les non-autistes quand on leur demandait si une ligne PARAISSAIT plus longue qu’une autre (ce qui était une illusion), alors qu’ils étaient capables de donner la bonne réponse quand on leur demandait quelle ligne ÉTAIT la plus longue, contrairement aux non-autistes. Ceci illustre que les autistes peuvent, dans certaines conditions, faire fi des processus «top-down», ce qui est souvent impossible pour les non-autistes.

 

#6 Une grande expertise en perception est à la base des habiletés spéciales retrouvées dans le syndrome du savant. L’apparition d’une habileté spéciale chez un autiste proviendrait d’une préférence pour certains types de stimuli perceptuels, comme les chiffres, les lettres ou les sons, stimuli qui généralement intéressent beaucoup moins les non-autistes. Stephen Wiltshire, un artiste autiste sans déficience intellectuelle, est un exemple d’individu doté d’une expertise exceptionnelle dans au moins un domaine. Il a dessiné plusieurs grandes villes (Rome, Londres, New York, Tokyo…) de mémoire avec une incroyable précision après un seul tour d’hélicoptère de moins d’une heure dans chaque ville !

 

#7 Le syndrome du savant pourrait aider à classer les troubles du spectre autistique en plusieurs sous-groupes. Ainsi, les domaines d’intérêt des autistes résulteraient d’un « choix » d’un type de stimulus perceptuel (sons, lettres, chiffes, etc.) qui les amènerait à développer une spécialisation dans le domaine choisi. Malheureusement, cette spécialisation pourrait se faire au détriment d’autres domaines qui seraient alors négligés par manque d’intérêt et peu entraînés. Par exemple, certains autistes (les Asperger) adoptent très précocement le langage comme domaine d’expertise, mais ne démontrent pas d’habiletés particulièrement dans les tâches visu spatiales, contrairement à d’autres autistes qui, eux, présentent une force en visu spatial et des difficultés pour le langage.

 

#8 Le fonctionnement augmenté de régions du cerveau spécialisées dans la perception expliquerait les sept énoncés précédents.

 

L’IMPORTANCE DU MODÈLE EPF

 

Le modèle EPF permet d’expliquer comment des symptômes apparemment très différents (par exemple, des intérêts spécifiques pour les calendriers et des difficultés en communication) peuvent se retrouver chez les autistes, et ce, à l’aide d’une constatation simple : la perception est différente. Aussi, le modèle EPF part de l’idée que les différences des autistes ne proviennent pas d’un déficit fondamental en socialisation, mais plutôt d’une force en perception. Une telle compréhension appelle une approche différente lorsqu’il est question de développer des traitements pour aider les autistes. Au lieu de chercher à compenser des déficits, on se concentre plutôt sur les forces déjà présentes pour diminuer l’impact des domaines moins performants. À terme, des approches basées sur la perception pourraient compléter les traitements actuels qui sont loin d’être parfaits.

Article original : Mottron, L., Dawson, M., Soulières, I., Hubert, B., & Burack, J. (2006). Enhanced Perceptual Functioning in Autism: An Update, and Eight Principles of Autistic Perception. Journal of Autism and Developmental Disorders, 36(1), 27–43. doi: 10.1007/s10803- 005-0040-7

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