Le traumatisme psychique et l’état de sidération

Extrait "Le livre noir des violences sexuelles" du Dr Muriel Salmona

Définition

Le traumatisme psychique, ou psychotraumatisme, se définit comme « un phénomène d’effraction du psychisme et de débordement de ses défenses par les excitations violentes afférentes à la survenue d’un événement agressant ou menaçant pour la vie ou pour l’intégrité (physique ou psychique) d’un individu qui y est exposé comme victime, comme témoin ou comme acteur » _ Louis Crocq 2007

Le potentiel traumatisant sur l’intégrité psychique est lié non seulement à la gravité de la violence, à son caractère inattendu et imprévisible, et à la confrontation avec la mort, mais aussi et surtout à l’intentionalité destructrice de l’agresseur et le non-sens de violences inexplicables et inconcevables pour la victime qui les subit.

Les violences traumatisantes « insensées » entraînent une effraction psychique impossible à contrôler, responsable d’une sidération des victimes. Cette effraction paralyse le psychisme des victimes, qui se retrouvent alors pétrifiées dans l’incapacité de se défendre mentalement contre ce qu’elles subissent. Le psychisme « en panne » ne peut plus, par l’intermédiaire de représentations mentales concernant l’événement (analyse, compréhension, et prise de décisions), jouer un rôle de défense et de modulation du stress intense déclenché par les violences. Or, le stress est la réponse adaptative normale devant tout danger, c’est un « réflexe neurobiologique, physiologique et psychologique d’alarme, de mobilisation et de défense de l’individu à une agression, une menace ou une situation inopinée ».

 

La réaction émotionnelle normale face au danger

Face à une situation dangereuse, nous sommes tous programmés pour déclencher immédiatement une réaction émotionnelle de survie, automatique et non consciente. Cette réaction est commandée par une petite structure cérébrale sous-corticale, appelée amygdale cérébrale parce qu’elle a la forme d’une amande (Ledoux 1997).

Cette réaction émotionnelle sert d’alarme et elle prépare l’organisme à fournir un effort exceptionnel pour échapper au danger, en lui faisant face, en l’évitant, ou en le fuyant. Pour ce faire, l’amygdale cérébrale commande, par les glandes surrénales, la sécrétion d’hormones du stress : l’adrénaline et le cortisol. Ces hormones permettent de mobiliser une grande quantité d’énergie en augmentant la quantité d’oxygène et de glucose disponible dans le sang. Le cœur se contracte plus fort et bat plus vite, le débit sanguin augmente, la fréquence respiratoire s’accélère, un état d’hypervigilance se déclenche.

Dans un deuxième temps, le cortex cérébral informé du danger analyse les informations, consulte grâce à l’hippocampe, toutes les données acquises se rapportant à l’événement (expériences, apprentissage, repérage spatio-temporel). L’hippocampe est une autre petite structure cérébrale qui s’apparente à un logiciel capable d’encoder toutes les expériences, de les traiter, puis de les stocker en les mémorisant, indispensable pour aller ensuite les rechercher. A l’aide de tout ce travail d’analyse et de synthèse, le cortex peut élaborer des stratégies pour assurer sa survie et prendre les décisions les plus adaptées à la situation.

La réponse émotionnelle une fois allumée, comme toute alarme, ne s’éteint pas spontanément. Seul le cortex, aidé par l’hippocampe pourra la moduler en fonction de la situation et des besoins en énergie de l’organisme, ou l’éteindre si le danger n’existe plus. Pendant l’événement, toutes les informations sensorielles, émotionnelles et de travail intellectuel seront traitées, encodées puis stockées par l’hippocampe dans des circuits de mémorisation.

L’événement pourra ensuite être raconté ; dans un premier temps, le récit sera accompagné d’une réaction émotionnelle, qui deviendra de moins en moins vive progressivement. Mais la mémoire émotionnelle restera sensible, comme rappel d’une expérience de danger à éviter. Cette mémoire de l’événement est dite autobiographique.

 

La sidération du psychisme

En cas de violences, tous ces mécanismes gérant la réponse émotionnelle sont très perturbés. Devant le danger l’amygdale cérébrale s’active et la réaction émotionnelle automatique s’enclenche. Mais la victime est réduite à néant face au non-sens de la violence qui s’abat sur elle, et à la volonté inexorable et incompréhensible de l’agresseur. La violence pénètre comme un raz de marée le psychisme et balaie toutes les représentations mentales, toutes les certitudes, rien ne peut s’opposer à elle. L’activité corticale de la victime se paralyse, elle est en état de sidération. Le cortex sidéré est dans l’incapacité d’analyser la situation et d’y réagir d’y façon adapter. […] Lors de la sidération corticale, la victime est comme paralysée, elle ne peut plus crier, ni parler, ni organiser de façon rationnelle sa défense (ce qui lui sera souvent reprochée par la suite). Comme le cortex est « en panne », il ne peut pas contrôler la réponse émotionnelle, celle-ci continue alors de monter en puissance, avec des sécrétions d’hormones de plus en plus importantes.

L’organisme se retrouve rapidement dans un état de stress extrême, qui comporte un risque vital cardio-vasculaire et un risque d’atteintes neurologiques graves, du fait de la quantité croissante des hormones du stress (adrénaline et cortisol) déversées dans le sang. A haute dose, ces hormones deviennent toxiques pour l’organisme. L’excès d’adrénaline peut provoquer un infarctus du myocarde et une mort subite. Et l’excès de cortisol est neurotoxique, il peut être à l’origine de souffrances neuronales, responsables d’un état de mal épileptique, de pertes de connaissance, d’ictus amnésiques (amnésie lacunaires comme dans un traumatisme crânien)., voire de coma. Jusqu’à 30% des neurones de certaines structures cérébrales peuvent être détruis ou lésés.

 

La disjonction, un mécanisme de sauvegarde

Face à ce risque vital cardiovasculaire et neurologique le cerveau dispose d’une parade exceptionnelle : la disjonction.

Comme pour un circuit électrique en survoltage qui disjoncte pour éviter de griller tous les appareils branchés, le cerveau fait disjoncter le circuit émotionnel en secrétant en urgence des neurotransmetteurs (endorphines) et des substances qui sont assimilables à des drogues dures (comme la morphine et la kétamine, cocktail antidouleur en chirurgie post-opératoire).

Cette disjonction interrompt brutalement les connexions entre l’amygdale et les autres structures du cerveau. L’amygdale isolée reste « allumée » mais ses informations sont bloquées, ce qui entraîne l’arrêt de la sécrétion d’hormones du stress et le risque vital avec. Le cortex ne reçoit plus d’informations sur l’état émotionnel psychique et physique. L’amygdale ne transmet plus d’informations à l’hippocampe pour traiter la mémoire de l’événement et donner des repérages spatiaux-temporels. La disjonction traumatique va être à l’origine de deux conséquences neurobiologiques qui seront au cœur des troubles psycho-traumatiques et de toutes les conséquences sur la santé : la mémoire traumatique et la dissociation.

Si vous avez été confronté récemment à un événement « douloureux et/ou violent », et que vous souhaitez évaluer le degré du traumatisme, je vous invite à faire ce petit test (ci-dessous) du site psychomédia – « Souffrez-vous d’un état de stress post-traumatique ? »

Ce test n’a pas valeur de diagnostic, c’est davantage une façon de se confronter à la situation, de mettre des mots sur les maux, et de se questionner pour prendre conscience de soi.

 

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2 commentaires

  1. L’utilisation abusive de l’expertise psychiatrique a un caractère criminel. Tel est le motif d’une amnésie traumatique depuis 2009. En effet, je commence seulement à pouvoir m’exprimer à propos d’un assassinat professionnel. En 2009 j’ai été soumise par la violence (menace licenciement) à une expertise psychiatrique (en violation de la procédure) pour des motivations illégales (occulter un harcèlement de 2003-2008). Durablement engagée dans un processus d’exclusion criminel, je suis en invalidité depuis 12/2008. Plusieurs avocats en droit administratifs ont prouvé leur incompétence (relève du droit pénal). Quant aux avocats en droit pénal, ils considèrent que  »cela » relève du droit administratif pour les agents fonctionnaires. Connaissez vous des situations comparables liées aux suppressions de postes dans les services de l’administration ? Avec la situation du COVID, il faut s’attendre à une recrudescence de ce type d’agression (viol psychologique). Merci par avance pour votre réponse.

    1. Bonjour, Est ce que la violence psychologique existe ? oui sans aucun doute. Maintenant de quelle façon elle est encadrée par la loi ? Je n’en sais rien. Pour vous répondre, je ne connais pas particulièrement ce type de cas, qu’il s’agisse de l’administration ou du secteur privé. Je sais juste que ces comportements, qu’ils soient inconscients ou volontaires, existent. Ils font partie de la nature humaine, quand la voie/voix du respect ne trouve pas d’issues. Je suis désolée de ne pouvoir vous renseigner davantage. Bien cordialement

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