Autisme, un cerveau axé sur la perception

Par Fabienne Samson, Ph.D

Toujours dans la poursuite de mes recherches sur les caractéristiques autistiques, je vous partage cet article du Magazine « Sur le spectre » réalisé par le groupe de recherche en neurosciences sur l’autisme de Montréal. Ici ils mettent en avant la différence de fonctionnement cognitif des autistes par rapport aux non-autistes et montrent que les autistes ont un fonctionnement axé sur la perception. Ce fonctionnement bien que différent de la norme, n’est pas moins efficace.

 

Un Cerveau Perceptif

 

En contraste avec leurs difficultés sociales et de communication, les autistes montrent des habiletés supérieures au niveau perceptif. Et si la perception prenait plus d’importance dans le fonctionnement du cerveau des personnes autistes ?

 

La perception, c’est notre fenêtre d’ouverture sur le monde. C’est l’ensemble des processus via lesquels l’information est acheminée au cerveau puis est organisée en lien avec les connaissances, attentes et expériences préalables. Cette fonction semble différente, probablement supérieure, chez les personnes autistes. Au niveau de la perception visuelle par exemple, les autistes obtiennent de meilleures performances que les personnes non autistes pour trouver une figure cachée dans une figure complexe ou encore pour détecter une cible présentée parmi des distracteurs.

 

Aussi, les autistes obtiennent des performances plus élevées pour la partie des tests d’intelligence basée sur la perception comparativement aux autres parties qui nécessitent plutôt l’utilisation d’autres fonctions comme le langage. Ces supériorités observées au niveau comportemental suggèrent que le traitement perceptif opère de manière différente dans le cerveau autiste.

L’organisation du cerveau est telle que les différentes régions cérébrales sont associées à des fonctions spécifiques; la perception visuelle au niveau postérieur dans le lobe occipital et les fonctions de plus haut niveau comme la planification et le raisonnement au niveau antérieur dans le lobe frontal par exemple. Les méthodes de neuro-imagerie cérébrale comme l’Imagerie par Résonance Magnétique fonctionnelle (IRMf) permettent de visualiser l’implication des différentes régions, et donc des différentes fonctions, lors de la réalisation d’une tâche donnée. Ce type de méthode a été utilisé pour investiguer les différences d’activité cérébrale entre les autistes et les non-autistes pour les tâches où les autistes montrent des habiletés supérieures.

 

Par exemple, lors de la réalisation du test des matrices de Raven, un test perceptif de résolution de problèmes et de raisonnement, on trouve une hausse de l’activité des régions associées au traitement visuel dans l’autisme combinée à une baisse de l’activité des régions frontales. L’observation d’un tel profil d’activité cérébrale en lien avec les supériorités observées au niveau comportemental ont mené à l’élaboration de l’hypothèse d’un rôle supérieur des processus perceptifs dans l’autisme. Celle-ci suggère que les autistes utiliseraient plus les régions perceptives du cerveau pour réaliser des tâches qui impliquent des régions non-perceptives (comme les régions frontales) chez les non-autistes.

 

Une manière de vérifier cette hypothèse est de regarder si une sur-activation perceptive chez les autistes est retrouvée à travers la littérature. Une méta-analyse quantitative est une manière de résumer la littérature sur un sujet donné. Cette méthode permet de vérifier le niveau de concordance entre études indépendantes, d’éliminer la variabilité entre les études et d’extraire de manière quantitative ce qui est commun, donc les résultats les plus consensuels. Dans le cas présent, une méta-analyse quantitative a permis de vérifier si les régions perceptives, plus particulièrement les régions associées à la perception visuelle, sont plus activées chez les autistes que chez les non-autistes lors de la réalisation d’une variété de tâches pour lesquelles de l’information visuelle doit être traitée.

 

Vingt-six études où de l’information visuelle est présentée à un total de 370 individus à développement typique et 357 individus avec un trouble du spectre autistique sont incluses dans la méta-analyse. Pour chaque étude, la liste des aires activées lors de la réalisation de la tâche pour chaque groupe est extraite. Il est ensuite possible de visualiser les régions activées à travers les études dans chacun des groupes, puis de comparer les profils d’activation entre les groupes. Cette analyse démontre une implication supérieure des régions perceptives dans l’autisme. Les régions cérébrales associées au traitement visuel (i.e. détection, manipulation, identification visuelle) dans le lobe occipital et le lobe temporal sont plus activées chez les autistes tandis que les régions frontales, sous-tendant les fonctions de préparation motrice, de contrôle cognitif, de prise de décision, etc., sont plus activées chez les non-autistes. Les tâches des études incluses sont très variées en termes de nature des stimuli visuels (formes, objets, visages, lettres) et en termes de complexité (détection de cibles visuelles, appariement, identification d’émotions, jugements sémantiques).

 

Il est intéressant de noter que la majorité des études incluses (18/26) rapportent des niveaux de performances similaires entre les groupes. Les personnes autistes utiliseraient donc plutôt les régions perceptives mais pour arriver au même résultat que les non-autistes qui s’appuient sur les zones de traitement de plus haut niveau. Ce pattern démontre une manière différente mais non pas moins efficace de traiter l’information dans l’autisme. La méta-analyse démontre aussi que la sur-activation des régions perceptives dans l’autisme n’est pas limitée à un seul domaine de traitement. En effet, lorsque les analyses sont faites sur des sous-ensembles d’études regroupées selon le type d’informations visuelles présentées, des objets, des visages ou du langage écrit, on retrouve systématiquement chez les autistes des hausses d’activités dans des aires associées à la perception. Les sur-activations se retrouvent principalement au sein du gyrus fusiforme, la région cérébrale associée à l’expertise visuelle, ce qui suggère un développement atypique de l’expertise dans l’autisme.

 

L’hypothèse d’une plus grande plasticité cérébrale, la capacité du cerveau humain de remodeler les connexions selon les expériences, a été formulée pour tenter d’expliquer ces différences. Par des phénomènes liés à la plasticité cérébrale, le cerveau des personnes autistes s’organiserait de manière à favoriser les processus perceptifs au cours de leur développement. Cette réorganisation cérébrale pourrait sous-tendre les forces observées dans le domaine du traitement visuel, le traitement atypique des visages mais aussi des compétences comme l’hyperlexie, l’apprentissage précoce de la lecture, souvent observée dans cette population.

 

Article original : Samson, F., et al., Enhanced visual functioning in autism: an ALE meta-analysis. HumBrain Mapp, 2012. 33(7): p. 1553-81. 2009. 12(6): p. 1083-96.

 

 

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